La naissance de l’écologie de guerre 

A la sidération des premiers jours est en train de succéder, comme toujours, l’horreur ordinaire des bombardements et des réfugiés de guerre. À la temporalité hystérique des premiers assauts va succéder celle, plus molle et moins spectaculaire, des négociations et compromis. Comme beaucoup le prévoient, la paix s’annonce amère pour l’Ukraine tant les conditions posées par le régime russe à un cessez-le-feu et un accord sont sévères, et l’engagement militaire de l’Europe et des États-Unis improbable.

Au milieu des incertitudes qu’engendre la guerre, l’ouverture d’un conflit ouvert sur son flanc occidental par Vladimir Poutine a néanmoins révélé une ligne de fracture incontournable.

À l’agression militaire et territoriale russe, qui ne peut évoquer aux consciences occidentales marquées par le pacifisme kantien et l’idée d’une obsolescence historique de la guerre qu’une marque d’arriération, l’Europe et les États-Unis répondent par des sanctions économiques. D’abord sélectives, visant les fameux « oligarques » russes et les structures de pouvoir du Kremlin, elles se sont ensuite étendues à l’ensemble du tissu économique et financier russe, au risque de fragiliser la population plutôt que son gouvernement.

Dans un contexte où la dissuasion nucléaire retrouve une certaine pertinence et inhibe l’envoi de troupes, on assiste à une guerre asymétrique dans laquelle les moyens investis par les deux camps adverses sont totalement hétérogènes. Aux bombardements et à l’envoi de troupes, à la stratégie militaire et à l’occupation directe du terrain dans l’espace contigu de la confrontation physique, répond l’organisation concertée d’un débranchage de la Russie vis-à-vis du système commercial et financier international.

Si le droit international était censé garantir la paix en rendant illégale la guerre d’agression, il s’accompagnait d’une possibilité d’ajuster le droit des affaires et l’accès aux institutions financières pour pénaliser les États montrant des signes de bellicisme. Ce dispositif peut donc être regardé comme une sublimation de la confrontation directe par une forme moins violente de coercition, qui repose sur l’idéal libéral et internationaliste d’exorcisation de la violence, mais aussi comme une forme insidieuse d’exploitation géostratégique des règles du capitalisme international. Les sanctions économiques, en outre, ont le potentiel d’infliger des violences bien réelles, en particulier sur les populations civiles exposées à la dégradation de leurs conditions matérielles d’existence, qui peuvent aller jusqu’aux famines.

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