L’interdiction de débarquer du brut russe dans les ports de l’UE et du G7 constitue un levier important pour tarir la principale source de devises dont dispose Vladimir Poutine. Mais, pour l’UE, la ligne de crête est étroite entre sa volonté de hâter la fin de la guerre et celle d’amortir les effets de la crise énergétique.

Pour la Russie, le «tsunami de cash» généré par le gaz et le pétrole a été, durant les premiers mois de la guerre, une bénédiction. Alors que le pays était frappé de sanctions de plus en plus sévères, cette manne du gaz et du pétrole permettait de faire rentrer des milliards de dollars dans les caisses russes, un argent indispensable pour financer la coûteuse guerre menée chez le voisin.

Ils se sont tous lourdement trompés, ceux qui avaient prédit un effondrement de la production russe de pétrole. Poutine a effectivement déjoué tous les pronostics car, avec 10.8 millions de barils/jour (mb/j) pompés en juillet dernier, la production russe de pétrole est quasiment au niveau des 11 mb/j de janvier dernier, soit avant la guerre. En fait, voilà trois mois que cette production s’est nettement redressée du trou d’air subi les mois ayant suivi le déclenchement du conflit, car la Russie a remplacé ses bons clients raffineurs européens par d’autres marchés.

L’hyper globalisation nous a tués. Elle nous rend irrémédiablement dépendants les uns des autres, et ce à l’échelon universel. Tant et si bien que des sanctions punitives dirigées contre un pays de taille moyenne affectent désormais les chaînes de production à l’autre bout de la planète pour se retourner in fine contre ceux qui les décrètent.

L’agression russe à l’égard de l’Ukraine met l’Europe au défi de réagir. Au centre de l’action d’une Union européenne militairement faible, mais économiquement puissante : des sanctions économiques. Tandis qu’une foule de mesures est prise, allant de l’exclusion du système d’échanges bancaires à une cessation de collaboration avec toutes les institutions publiques russes, la question de l’arrêt des importations d’hydrocarbures revient de manière lancinante.

Le décret de Vladimir Poutine, imposant aux « états hostiles », dont l’intégralité des états-membre de l’UE, de payer leurs factures de gaz en Roubles, avait embêté les Européens. De manière déterminée, tous les états refusèrent alors de se conformer à ce décret du Kremlin. Mais on a trouvé un moyen pour contourner notre propre politique. Si les Européens payent effectivement en Euro ou Dollars, Moscou reçoit des Roubles et peut ainsi stabiliser sa monnaie qui, depuis le début de la guerre, se trouvait sous une forte pression. Comme quoi, lorsqu’il s’agit de gros sous, on s’entend bien. Même avec l’ennemi.

Si les appels à soutenir l’Ukraine sont compréhensibles et moralement justifiables, il ne faut pas perdre de vue les risques d’escalade, affirme le penseur et théoricien de l’École de Francfort. La guerre froide a appris aux Occidentaux que “les conflits avec les puissances nucléaires ne peuvent plus être ‘remportés’ dans le vrai sens du terme, du moins pas par des opérations militaires.”

Pour l’économiste Sergueï Gouriev, un embargo sur les importations d’hydrocarbures russes est la solution la plus rapide pour mettre un terme à la guerre, sans que cela ne règle tous les problèmes. Dans cet entretien, il revient également sur le rôle de la Chine dans le conflit, sur celui des oligarques russes ou encore sur le pouvoir par la peur exercé par Poutine.