2001-2021 : comment le 11 septembre a transformé les États-Unis

En politique étrangère, le 11 septembre 2001 marque l’avènement du moment néoconservateur : après une décennie post-guerre froide de désarroi stratégique, les États-Unis retrouvent un ennemi, une doctrine et un objectif pour le moment unipolaire. Face au choc de l’attaque contre Manhattan et le Pentagone, les conseillers et intellectuels néoconservateurs influents sont en effet les seuls à avoir une théorie et un plan d’action « délivrable », aspect parfaitement retracé dans le rapport de la Commission 9/11. S’ensuit un déferlement de puissance militaire américaine sur le monde, visant d’abord à punir les Talibans et détruire le sanctuaire d’Al-Qaïda en Afghanistan, mais surtout à saisir l’opportunité du moment unipolaire pour forger un nouvel ordre mondial : inspirée de Samuel Huntington (celui de la « la troisième vague« ) et des théories de la paix démocratique, l’idéologie néoconservatrice prône le changement de régime, y compris par la force, pour lutter contre le terrorisme et les régimes détenteurs d’armes de destruction massive (« l’axe du Mal » du discours de Bush à la nation en 2002) et diffuser la démocratie.

Hubris du nation-building, méconnaissance du monde extérieur, l’état d’esprit est parfaitement résumé par cette déclarationd’un conseiller de Bush en 2002 : « nous sommes un empire maintenant, nous créons notre propre réalité« . Le paradoxe, l’échec des néoconservateurs est que leur vision pour mettre à profit ce moment d’hyperpuissance américaine va en précipiter la fin.

Paradoxe pour un président, George W. Bush, qu’on avait craint trop isolationniste pendant la campagne 2000, à un moment où les isolationnistes (anti-interventionnistes) gagnaient en influence au parti républicain : les attentats les marginalisent, en unissant les deux autres courants de politique étrangère du parti, les interventionnistes (dominés par les néoconservateurs sur le plan intellectuel) et les nationalistes (« jacksoniens »). Pour rallier ces nationalistes, c’est une autre théorie d’Huntington qui impose sa lecture au grand public, celle du « choc des civilisations » : le soir du 11 septembre, Bush déclare la guerre contre le terrorisme, expression qui s’impose, y compris dans l’autorisation d’utiliser la force votée par le Congrès ; profitant du choc de la nation et des élus, les conseillers de Bush imposent cette formule floue et refusent de spécifier une organisation particulière. La guerre ainsi déclarée est conceptuellement impossible à gagner, d’emblée « sans fin ». 20 ans après, les néoconservateurs sont marginalisés ou auto-exclus du parti républicain : Trump représente ce tournant en politique étrangère, nouvelle synthèse républicaine entre anti-interventionnistes (plutôt qu’isolationnistes) et nationalistes militaristes.

Le bilan de ces 20 ans de guerre en Afghanistan, une défaite terminée en débâcle en août dernier, est aussi l’expression d’un système politique américain de plus en plus incapable de produire une politique étrangère compétente et cohérente dans la durée. En ce sens, la politique étrangère n’est qu’un symptôme d’une crise plus large de la politique américaine, d’autant plus préoccupante qu’elle conforte le récit chinois (et russe) d’une inefficacité des démocraties face aux régimes autoritaires.

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