Le gouvernement fédéral est-il en mesure de contrarier les plans d’un grand groupe comme Delhaize ? À l’évidence la réponse est non. Depuis des semaines le conflit s’enlise entre une direction qui suit sa feuille de route, avec le passage sous franchise de l’intégralité de ses magasins, et des syndicats qui tentent de s’y opposer en multipliant les grèves, les journées d’action, les opérations coup de poing. On vise un magasin par ici, on essaye de bloquer le dépôt par là, mais on sent très bien que tout cela s’essouffle et qu’à la fin c’est l’entreprise qui gagne.
Delhaize
Le conflit social créé par les décisions de Delhaize prend une ampleur inédite. En jeu : l’avenir de la démocratie sociale belge. La démocratie sociale est définie comme : la forme de gouvernement dans laquelle les partenaires sociaux participent à la régulation aux côtés de l’État. Une forme de gouvernement qui s’évapore de plus en plus vite. l’Etat laisse faire. Le gouvernement est resté très en retrait et la justice a donné raison à Delhaize en envoyant des huissiers et des policiers pour dégager les grévistes.
FGTB, CSC et CGSLB appellent de concert à manifester, lundi 22 mai, pour défendre les libertés syndicales et lutter contre le dumping social. Pour le président de la FGTB Thierry Bodson, le droit de grève est sérieusement menacé. Il dénonce la « provocation » du gouvernement et appelle les responsables politiques à plancher sur des solutions structurelles aux grands défis climatiques et sociaux. » Les tribunaux estiment que la liberté de commerce et le droit économique sont supérieurs aux droits sociaux. On n’avait jamais vu ça ! »,
Refus de la concertation sociale, fouilles des syndicalistes à l’entrée du Conseil d’Entreprise, arrestation avec menottes d’une déléguée syndicale, mépris, intimidations, arrestation et garde à vue de 24h d’un étudiant lors d’une manifestation de soutien, recours aux huissiers, à la police et aux autopompes, interventions « musclées » de la police, menaces de non-réengagement des grévistes, requêtes unilatérales validées par ordonnances de tribunaux pour interdire les piquets de grève, violation systématique du gentlemen agreement de 2002 (1)… Le dossier Delhaize est hors normes à plusieurs égards et s’inscrit malheureusement dans la lignée des atteintes au droit de grève et au droit d’action collective observées depuis plusieurs années.
Cette dernière « affaire Delhaize » illustre l’inexorable évolution du capitalisme, particulièrement visible dans la distribution. Au fil de son évolution, celui-ci eu trois visages : le commerçant, l’industriel et le financier. Le développement du commerce franchisé ne date pas d’hier. Cela fait des années qu’à la place des petites épiceries de quartier qui avaient disparu, on voit se multiplier les Proxys et autres Shop & Go. Il est à nouveau possible de faire ses courses près de chez soi. Manifestement, ces formes souples et « dérégulées » trouvent leur clientèle. Mais cela se paie d’une moindre qualité des emplois offerts.
Le conflit chez Delhaize est donc symbolique à plus d’un titre. Car si l’on revient à ce que disait la Cour de cassation en 1997 : le piquet fait partie intégrante du droit de grève, on assiste alors à travers ce conflit à la confirmation d’une tendance de fond : une lente, mais résolue, réduction du droit de grève. A laquelle correspond une lente, mais toute aussi résolue, diminution du pouvoir des syndicats dans les conflits sociaux.
Faut-il changer les règles du jeu et revoir les conditions de travail dans le commerce de détail alimentaire ? Les syndicats le demandent depuis le début. Aujourd’hui ils trouvent un allié de circonstance chez l’un des gros employeurs du secteur : Colruyt. Colruyt évoque notamment l’aspect social : “Les différences créent surtout une injustice sociale : des employés ayant la même fonction et les mêmes tâches dans un supermarché gagnent jusqu’à 400 euros de moins par mois lorsqu’ils appartiennent à la commission paritaire des magasins franchisés. C’est difficilement justifiable. » Le gouvernement est invité à agir.
Les négociations entre syndicats et patrons dans le cadre du passage de 128 magasins Delhaize sous franchise sont au point mort. Alors que la peur domine, Anne-Catherine Lahaye (UNamur) et François Lambotte (UCLouvain) analysent la stratégie de communication de la direction. La direction de Delhaize ne fait que communiquer une information de manière directive et descendante, sans écouter les collaborateurs en retour. C’est presque comme si les travailleurs n’existaient pas.