C’est un constat, le conflit social chez Delhaize dépasse et de loin le seul avenir de cette entreprise. C’est très singulier, et très rare, qu’une manifestation nationale, couverte par un préavis de grève des trois syndicats, se déroule suite à une décision de restructuration d’une seule entreprise. On est sans doute en train de vivre un moment de l’histoire sociale comme l’ont été Caterpillar, Renault Vilvorde, les forges de Clabecq ou la faillite de la Sabena. Des cas différents mais qui ont tous été des ruptures dans l’évolution du capitalisme belge.
Toutes ces crises ont été comparées à l’époque à des séismes, des tremblements de terre. On peut pousser la comparaison plus loin. Pour comprendre un tremblement de terre dans le monde du travail, il faut s’éloigner un peu et observer les plaques tectoniques, les tensions qui s’accumulent dans les failles sismiques silencieusement durant des années avant de déboucher sur un événement.
Qu’est-ce qui se joue donc dans les plaques tectoniques du monde du travail belge ? On distingue classiquement deux grandes plaques. Celle du capital et celle du travail qui exercent des forces opposées.
Dans la plaque du capital, ici Delhaize, on observe une force imprimée par les actionnaires pour augmenter le taux de profit en faisant pression sur les coûts du travail. Vous allez me dire, c’est normal en économie de marché. Oui, mais la manière dont Delhaize procède est tout à fait nouvelle. Delhaize, marque iconique de l’économie belge, passait il y a peu pour un employeur modèle. Il tentait d’augmenter son taux de profit de manière assez classique, en négociant des compromis avec les syndicats. Delhaize s’inscrivait et participait à la concertation sociale issue des trente glorieuses. Une démocratie sociale qui canalisait les conflits sociaux dans ce qu’on appelait un Gentlemen’s agreement entre patronat et syndicats.
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