Chaque année, depuis 2016, le ministère des Finances publie un communiqué annonçant le montant des sommes que les entreprises belges ont transféré vers les paradis fiscaux l’année précédente. Cette annonce donne typiquement lieu à un petit article dans les pages de nos principaux journaux. Et puis plus rien. Parce que les montants de ces paiements ne valent pas la peine qu’on s’y attarde davantage, contrairement aux Panama Papers, Lux Leaks, Swiss Leaks, et Dubaï Leaks qui, eux, révélaient de l’évasion fiscale se chiffrant en milliards d’euros ? Eh bien, détrompez-vous : sur base des déclarations faites par les entreprises belges en 2021, ce sont 383 milliards d’euros qui ont quitté en 2020 les entreprises belges pour aller se loger dans des paradis fiscaux. Cela représente 84 % du PIB belge ! Une fuite colossale. Comment donc des paiements d’une telle importance sont-ils légalement possibles ? Pourquoi sont-ils rendus publics, mais dans une telle discrétion ? C’est ce que nous vous expliquons dans cette chronique.
Tout commence en 2009. En avril de cette année-là, l’OCDE plaçait la Belgique sur la liste grise des paradis fiscaux. Pour sortir la Belgique de cette liste honteuse, Didier Reynders, le ministre des Finances de l’époque, prenait une série de mesures, dont l’introduction d’une obligation, pour les entreprises, de déclarer leurs paiements vers les paradis fiscaux, s’ils excèdent 100.000 euros sur une année. La loi était promulguée le 23 décembre 2009, et entrait en vigueur le 1er janvier 2010.
Durant les cinq premières années d’application de cette loi, l’opacité totale est de rigueur. Les montants de ces paiements, que seule l’Administration des Finances connait, ne sont pas diffusés. Mais à partir de 2016, un voile se lève, qui permet d’apprendre qu’en 2015 les paiements des entreprises belges vers les paradis fiscaux se sont élevés à 82,9 milliards d’euros, soit environ 20 % du PIB belge. Un montant énorme mais qui pourtant, à l’époque, n’a pas créé de tollé ni suscité beaucoup d’intérêt.
(…) Le 26 octobre 2022, c’est au tour de l’Administration des Finances d’être auditionnée par la Commission Finances et Budget de la Chambre, tandis que le ministre Vincent Van Peteghem est, lui, auditionné le 9 novembre. Et là, coup de théâtre. Aussi bien les représentants de l’Administration que le ministre admettent, pour la première fois, que le montant astronomique de 383 milliards d’euros de paiements vers les paradis fiscaux pour l’année 2020 (déclarés en 2021) n’est pas gonflé artificiellement par les transferts au jour le jour (le fameux cash pooling), mais que ce montant est calculé sans tenir compte de ces opérations de cash pooling.
La suite ici : Carta Academica : C’est l’histoire d’un pays dont s’échappe chaque jour un milliard d’euros