9-Mai : la guerre infinie de Poutine 

Au cours d’une année ordinaire — même si chaque année sous le règne de plus en plus tumultueux de Vladimir Poutine peut être qualifiée d’exceptionnelle — des millions de Russes auraient passé les quinze jours précédant le 9 mai à se préparer intensément. Le jour de la Victoire, comme la Russie appelle le jour où sa « Grande guerre patriotique » a finalement pris fin en 1945, est le plus grand jour férié de l’année. Toute une série de rituels sacrés doivent en effet marquer cette date très spéciale, où les Russes se souviennent des 27 millions de vies sacrifiées pour contrer la menace d’anéantissement que représentait l’avancée des puissances de l’Axe. Selon la rhétorique officielle actuelle, ce fut le martyre le plus héroïque, le plus extraordinaire de l’histoire ; le moment où la Russie s’est non seulement sauvée elle-même de la machine de guerre nazie, mais aussi la civilisation et l’humanité.

Des milliers d’étudiants et de membres de groupes de jeunes militaires auraient dû participer à des répétitions en vue de défilés, de représentations et de concerts de toutes sortes, pendant le défilé central de la nation sur la place Rouge, sur toutes les places des villes et dans toutes les écoles du pays. Les troupes auraient dû se rassembler pour faire défiler l’infanterie en rangs serrés, des colonnes de blindés et des exhibitions aériennes. Les hommes politiques auraient dû préparer des discours pour les prononcer devant des foules massives d’auditeurs ordinaires :  toujours la même rhétorique mêlant une évocation de la Sainte Russie, qui serait passée de la nuit au jour, de la destruction à la construction et de la mort à la vie après la défaite de la Wehrmacht. Les Russes moyens auraient dû imprimer des pancartes ornées de photographies en noir et blanc et en sépia de pères et de grands-pères qui se sont battus et sont peut-être morts au combat : tous prêts à participer aux défilés des « régiments immortels » qui ont lieu dans toute la Russie depuis près d’une décennie.

Pourtant, cette année, rien ne se passera comme prévu. Vladimir Poutine sortira quand même pour faire un discours aux troupes rassemblées et à ses soutiens sur la Place Rouge. Diffusés par la télévision d’État, les propos de Poutine seront découpés, insérés dans des images étincelantes des soldats russes et diffusés sur une myriade de groupes sur les réseaux sociaux. Les paroles de Poutine résonneront dans tout le pays — ce sera sans doute une nouvelle fois le baratin anhistorique, devenu si familier au cours des quinze derniers mois, dans lequel il oppose la Russie d’aujourd’hui au soi-disant « Occident collectif » dans un grand conflit civilisationnel

Mais, de l’extérieur du moins, au-delà de cet événement central, le Jour de la Victoire 2023 semble devoir être bien silencieux. Des défilés ont été annulés dans la douzaine de grandes agglomérations situées à six cents kilomètres de la frontière avec l’Ukraine. Le Régiment immortel, qui voit habituellement plus d’un million de Russes dans les rues, et même la participation personnelle de Poutine, a vu ses défilés remplacés par des alternatives en ligne

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