La façon dont le débat public s’est emparé de la question de l’intelligence artificielle laisse parfois songeur : l’intelligence artificielle est souvent comprise comme un « bloc », un « concept ».. Elle nous est présentée comme une perspective, quelque chose à venir, à craindre. Un horizon fantasmatique : « pour ou contre », « danger ou progrès », « l’homme ou la machine », etc. La réflexion proposée est bien souvent victime d’un enfermement binaire dont nous sommes désormais coutumiers mais qu’il faut toujours combattre avec nuance et complexité.
Pourtant, le sujet, hautement complexe, ne peut se contenter de cet excès de simplisme, l’intelligence artificielle se situe à un carrefour interdisciplinaire stratégique : data science, philosophie politique, géopolitique, droit, économie, politiques publiques.
(…) L’IA n’est pas un horizon, elle est une réalité matérielle, opérationnelle, déjà omniprésente dans nos existences. Elle n’a d’ailleurs pas d’unicité propre. Elle est au contraire multiple, issue de modèles d’entraînement plus ou moins profonds, du « machine learning » simple au « deep learning » le plus sophistiqué : intelligences artificielles génératives de contenus (textes, voix, images, codes), agents conversationnels, systèmes de prédiction, logiciels de prise de décisions, algorithmes de recommandation, reconnaissance faciale ou biométrique, véhicules et armes autonomes en perspective. L’ « IA-as-a-concept » participe déjà à nos environnements quotidiens directs ou indirects. Disons-le, la révolution de l’IA n’est pas une perspective, elle a déjà eu lieu, progressivement, par à-coups, de sauts technologiques en surprises. Son développement s’est plus particulièrement déployé ces trente dernières années avec alternativement des moments d’emballement et d’Eurêka – ChatGPT en ce moment en est un, Deep Blue en 1997 (le superordinateur d’IBM qui avait alors réussi l’exploit de battre Gary Kasparov aux échecs) ou encore AlphaGo en 2015 (intelligence artificielle développée par DeepMind ayant réussi là encore à battre un joueur professionnel) – en leur temps, et puis de longs tunnels de ralentissements et de doute.
La suite ici : Technopolitique de l’intelligence artificielle : luttes idéologiques, tensions géopolitiques, espoirs démocratiques