Depuis la première guerre du Golfe, la surveillance satellitaire constitue la clé de voûte de l’ISR (renseignement, surveillance, reconnaissance), et donc de la domination militaire américaine. Grâce aux trente satellites géostationnaires braqués sur l’Ukraine, et aux quelques 300 autres, militaires et commerciaux, qui passent régulièrement au-dessus de la région, le renseignement américain a «prédit» la guerre avec une exactitude sans précédent dans l’histoire. Et pourtant, il s’est «trompé»: l’Ukraine, censée tomber au bout de quelques jours ou de quelques semaines, a su résister à l’invasion de la deuxième armée du monde.
À cela, une seule explication logique: l’Ukraine aurait dû s’effondrer. Et si ce ne fut pas le cas, les bévues des Russes, la préparation de l’armée ukrainienne depuis 2014, le soutien occidental, l’intelligence militaire de Zaloujny, le coup de poker de Zelensky, ne suffisent pas à l’expliquer. La réalité, c’est que nul ne pouvait prévoir le succès ukrainien car personne n’avait encore jamais vu de «guerre numérique» en action. Jusqu’à aujourd’hui.
Et pourtant, c’étaient bien les Russes qui étaient censés dominer la cyberguerre. Ils l’avaient déjà démontré avec le «test» estonien et l’intervention en Géorgie. Dans les deux cas, l’armée russe avait brillamment mis en pratique ses théories sur la guerre hybride. Le «digital playbook» ou manuel opérationnel cyber russe se compose de trois volets:
submerger les infrastructures militaires et civiles avec des attaques de type DDoS,
paralyser les secteurs clé de l’économie (énergie, télécoms, etc.) en prépositionnant du malware,
démoraliser la population par l’utilisation des réseaux sociaux pour diffuser des rumeurs, des fakes, tout cela dans le but d’anéantir la résistance de la société civile au commencement de l’opération militaire.
En 2007, en Estonie, l’impact des attaques par déni de service (utilisant des ping floods et des botnets) avait été tel que l’OTAN avait décidé d’installer son centre de cyberdéfense, le CCDCOE, à Tallinn. Les Russes remirent ça en 2008 en Géorgie, avec le succès que l’on connaît. Et bis repetita en Ukraine après la révolution de Maïdan: cyberattaques contre des stations électriques en 2015 et 2016 (200.000 personnes avaient été privées d’électricité), puis en 2017, opérations de désinformation ciblées pour monter le Donbass contre le pouvoir de Kiev. Depuis dix ans, les Ukrainiens ont été aux premières loges de la cyberguerre.
La suite ici : En Ukraine, la première guerre numérique de l’histoire