Dans presque toutes les familles russes, il y a au moins une personne ukrainienne. Au début de la guerre, le schisme a donc été très violent dans la sphère intime. L’opposition entre ces deux visions a été si forte qu’aujourd’hui certaines familles ne se parlent plus. D’un autre côté, la population russe est majoritairement anti-guerre et considère les Ukrainiens comme des cousins : on garde en tête l’image de ces fleurs déposées anonymement devant des monuments ukrainiens à Moscou…
Mais mis à part ces petits gestes, le peuple russe n’a pas les moyens de protester : la propagande et le contrôle des informations sont de plus en plus pesants dans la vie quotidienne. Un logiciel d’État est d’ailleurs en cours d’installation pour filtrer tout ce qui est écrit et émis sur Internet. Cette compassion envers les Ukrainiens, les Russes ne peuvent l’exprimer sous peine de s’exposer à des années de prison. La société va probablement se résigner à ce conflit, comme elle s’était résignée au pouvoir soviétique.
Une nouvelle année de guerre causera plus de morts, et touchera donc plus de familles encore. Or l’État russe continue de glorifier les anciens combattants et d’augmenter son soutien financier à leur égard. Vladimir Poutine a certes reçu quelques associations de mères de soldats au Kremlin, avec un discours de propagande très conventionnel, mais il n’existe plus en Russie de société civile capable d’amener du débat au sein du pouvoir.
Mener une révolte nécessite de l’organisation, et la chose n’est pas aisée dans ce pays étendu sur douze fuseaux horaires. Si Alexeï Navalny (militant politique et principal opposant à Vladimir Poutine, ndlr) n’était pas isolé au fin fond de sa prison sibérienne, peut-être aurait-il pu être l’un des leaders d’un tel soulèvement. Mais à part lui, il n’y a pas de figure crédible pour rassembler toutes ces voix qui rejettent Vladimir Poutine, et donc la guerre. Comme pendant l’ère soviétique, le peuple est isolé. Les vrais débats se passent loin des plateaux de télévision, où aucun russe ne se sentirait libre de parler. Le seul endroit où l’on peut encore parler librement et critiquer le pouvoir, c’est dans la cuisine.
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