Une étude réalisée par Valérie Igounet et Rudy Reichstadt (« le “Grand Remplacement” est-il un concept complotiste ? », Fondation Jean-Jaurès, 24 septembre 2018) nous renseigne sur le contenu de cette théorie complotiste. La France subirait, selon Renaud Camus, un « changement de peuple et de civilisation » orchestré par les« représentants de la superclasse mondiale ». Ce travail de substitution serait achevé vers 2030, date à laquelle une« colonisation démographique » aurait fait passer l’Hexagone sous domination islamique.

Si ce discours s’est récemment diffusé dans le débat public, son origine est ancienne. On trouve un fantasme similaire dans les écrits de Maurice Barrès, chantre du nationalisme antisémite au XIX^e siècle. Dans son pamphlet de 1893, « Contre les étrangers », il affirme que « des hordes d’émigrants repoussés de toutes parts s’acheminent pour submerger notre race ». Le danger pour la France est vital : « C’est notre disparition : comment en effet nous les assimiler ? ». Mais sous sa plume, la rhétorique de l’invasion ne cède pas encore au complotisme. La spécificité du « grand remplacement » est en effet de lier l’idée de submersion migratoire à un prétendu projet conspirationniste. Il s’agit de dénoncer un changement volontaire de population. D’après l’historien Nicolas Lebourg (« Attentat islamophobe de Christchurch : retour historique sur le “grand remplacement” », Médiapart, 15 mars 2019), cette idée fait florès dans l’immédiat après-guerre. Les extrêmes droites radicales débattent alors d’un supposé projet de destruction de l’Europe par une immigration africaine massive : « Après 1945, en la disant œuvre du complot juif, après le 11 septembre 2001 en en extrayant l’argumentaire antisémite pour le faire seulement mythe mobilisateur raciste et islamophobe. »