« La fiction du talent rend naturelles les inégalités sociales »

Et si nous en finissions une bonne fois pour toutes avec l’idée de talent ? C’est le pari audacieux que fait Samah Karaki, généticienne et docteure en neurosciences, dans Le Talent est une fiction (JC Lattès, janvier 2023).

« Il est important, pour commencer, de bien définir de quoi on parle : le talent, tel qu’il est compris communément, est un attribut que l’on confère à une personne dotée de caractéristiques qu’on considère comme exceptionnelles : je regarde cette personne et je suppose qu’il existe en elle un potentiel qui expliquerait ces caractéristiques. Comme nous avons besoin d’histoires simples et qui font sens, on va supposer que quelque chose qui relève presque de la magie existe dans la nature même de l’individu, ou du moins dans ses gènes ou une partie de son cerveau, bref cette petite chose qu’on arriverait pas à cerner.

Et nous avons cette illusion qu’en comprenant cette chose, elle perd de son caractère magique. Je ne prétends pas faire disparaître cette magie mais en comprenant mieux les ressorts du talent on se libère de cette illusion… Et on peut orienter notre fascination vers le processus de développement des capacités humaines ! »

Est-ce que le talent a toujours été valorisé dans l’histoire ?

« La notion du talent trouve son origine dans la Grèce antique, et provient du nom d’une monnaie et d’une unité de poids, talentum. D’un instrument de mesure objective, la définition au fil de l’histoire est devenue de plus en plus figurée, attribuant des traits aux personnes. En prenant une forme religieuse dans la parabole des talents de l’Évangile selon Saint Matthieu, Dieu octroie d’une manière inégale des talents aux humains, ces derniers doivent investir leur travail pour faire fructifier ces dons divins.

Au XVIIIème  siècle, la notion est devenue plutôt laïque en se dressant contre la providence divine et les privilèges héréditaires de l’Ancien Régime. Les penseurs des Lumières du XVIIIème siècle ont installé durablement l’idée que le succès symboliserait la force du mérite individuel, entendu comme la combinaison d’un effort qui vient fructifier le talent compris dans ce contexte comme les dispositions et aptitudes naturelles pour certaines choses. Dans sa forme actuelle, les prédispositions naturelles sont comprises comme étant biologiques : elles se combinent au travail pour s’imposer comme les critères permettant de distinguer ceux qui pourront être sélectionnés et récompensés, autrement dit ceux qui ont droit au mérite. »

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