« Chiffres de contamination, mesure de l’intelligence, nombre de chômeurs, score de popularité, montant de la dette publique, indicateur de performance… » Dans son nouveau livre Chiffre, le sociologue Olivier Martin propose une analyse à la fois brève et approfondie de ces « objets sociaux » dont la popularité semble n’avoir jamais été aussi grande. Mais de quoi parlent-ils exactement ? « Davantage qu’une vérité sur le monde, ils révèlent nos besoins de nous coordonner, de trouver des manières de faire des choix et de disposer de conventions pour nous entendre. Ils nous parlent d’une multitude de choses qu’ils contribuent en permanence à créer »
Covid-19, théorie conspirationniste du « grand remplacement », délinquance… Sur chacun de ces sujets d’actualité, les chiffres sont souvent invoqués par les experts et les politiques pour défendre leurs points de vue. Qu’est-ce que ces discours ont en commun ?
Ces discours ont pour point commun d’utiliser les chiffres comme un argument d’autorité. Il s’agit d’adopter une position de surplomb qui paraît incontestable. Le chiffre est associé à ces valeurs de neutralité, d’objectivité, de vérité. Il est supposé, dans notre représentation commune, être en prise avec la réalité. Si les responsables politiques ont pour habitude de mobiliser les chiffres, c’est donc qu’ils sont imprégnés par cette idée. L’un des récents clips de sensibilisation du gouvernement à propos de la vaccination est tout à fait représentatif de cette tendance : il énonce clairement qu’« on peut discuter de tout, sauf des chiffres ».
D’une certaine manière, même certains discours critiques à propos des chiffres, ceux qui laissent entendre que les chiffres seraient « manipulés » ou « truqués » par tel ou tel responsable politique, ne font que renforcer cette conception. Le chiffre en lui-même serait en mesure de dire la vérité ; le problème serait son détournement à des fins mal intentionnées, par des acteurs aux intérêts cachés. Il existerait ainsi des « vrais chiffres » que l’on pourrait parvenir à dénicher en faisant quelques efforts. L’objet de mon livre est de questionner toutes ces représentation
La suite ici : « Notre culture néolibérale nous pousse à tout quantifier et à tout compenser »