L’agonie d’un régime nous instruit parfois davantage sur la nature de ce dernier que son étude durant les années fastes de son existence. Même les observateurs les plus avertis du système poutinien ont été surpris par ce qu’a révélé la guerre en Ukraine. La propagande du Kremlin était si stridente, si sûre d’elle qu’elle n’intoxiquait pas seulement les Russes – y compris les dirigeants du Kremlin – mais même les experts occidentaux les moins complaisants à l’égard de Moscou.
Ainsi les services de renseignement américains eux-mêmes étaient persuadés que l’armée ukrainienne ne tiendrait que quelques jours face à l’invasion russe. Nous savions que le régime de Poutine était corrompu jusqu’à la moelle ; mais nous pensions qu’à l’image des dirigeants soviétiques, il préservait jalousement le complexe militaro-industriel et l’armée, et que les sommes colossales affectées à ce secteur avaient porté leurs fruits. De même avions-nous une idée exagérée de l’efficacité des services russes, que l’on mesurait à leur succès dans la cooptation des élites occidentales.
La guerre contre l’Ukraine a percé la baudruche. On a vu les soldats russes misérables, affamés, buvant dans les flaques, mangeant des chiens, chaussés de minables bottes de caoutchouc chinoises, coiffés de casques qu’on pouvait enfoncer d’un coup de poing, ignorant l’usage d’une cuvette de WC ou le branchement d’une bouilloire électrique. Les Occidentaux ont compris qu’au-delà de la rutilante Moscou se trouvait une Russie indigente, des villages non raccordés au gaz, dépourvus de canalisations, une Russie de SDF et de poivrots, une Russie des goulags et des truands.
(…) On a longtemps cru que l’efficacité du régime à contrôler la population et à l’endoctriner devait se traduire par une efficacité comparable dans d’autres domaines. En réalité il s’avère que le seul talent des hommes de Poutine a été la création de cette surréalité Potemkine dans laquelle il a englué la population russe, une bonne partie des Occidentaux et ses propres élites.
Le règne de Poutine a été celui de la propagande. Il s’est construit sur un double mensonge fondateur. Le premier mythe est celui de Poutine « homme fort ». À l’automne 1999 les chaînes de télévision contrôlées par les oligarques proches du Kremlin ont réussi à présenter le terne nouveau favori de la famille Eltsine comme un patriote, une sorte de Bruce Willis envoyé par le ciel pour sauver la Russie. Dans les mois et les années qui suivirent Poutine fut dépeint comme le bâtisseur du nouvel État russe, puis le rassembleur des terres russes. La réalité était toute autre.
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