Un demi-siècle après le premier Sommet de la Terre, la destruction du vivant se poursuit à large échelle et les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter inexorablement. Cette incapacité à changer résolument de cap s’explique d’abord par la résistance des piliers de l’économie carbonée, dont les multinationales des énergies fossiles forment la pointe avancée. Mais ces obstacles objectifs ne suffisent pas à expliquer notre inertie. Si nous avançons si lentement, c’est aussi parce que nous ne parvenons pas à convaincre que changer radicalement nos modes de production et de consommation ne constitue pas forcément un renoncement, mais peut être au contraire synonyme de progrès pour une immense majorité des humains.
La critique du monde actuel, condition première d’un mouvement vers une autre forme d’organisation sociale, est de mieux en mieux étayée. L’histoire des faits et des idées nous enseigne que c’est en cherchant la liberté dans l’abondance que nous avons perdu le sens des limites, qu’il s’agisse des limites naturelles ou des limites physiologiques humaines. Ancrés dans le régime capitaliste, nos modes de production et de consommation renforcent en outre les rapports de domination patriarcale et coloniale. Les luttes sociales, féministes, environnementales, antiracistes pourraient théoriquement converger2 et jeter les bases de cette « classe écologique » dont Bruno Latour cherchait, dans ses dernières interventions, à cerner les contours
Mais une critique sociale, aussi puissante soit-elle, ne suffit pas à bouleverser les rapports de domination. Les révolutions démocratiques et sociales des trois derniers siècles n’auraient pas pu abattre les institutions des ordres anciens si elles n’avaient pas mobilisé une vision du monde, un imaginaire et des symboles indiquant l’horizon souhaitable. Or les diverses formes d’écologie politique qui se sont affirmées au cours du dernier demi-siècle ne sont pas parvenues, à ce stade, à concevoir une éthique publique suffisamment puissante pour affronter l’éthos d’accumulation, de consommation et de distinction sur lequel repose le régime capitaliste.
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