Construire une critique de la conscience était beaucoup plus difficilement acceptable il y a deux décennies. Et puis, tout à coup, le populisme émerge sur la scène politique internationale, les théories du complot deviennent des discours quasi légitimes, ils ne sont plus du tout relégués aux marges. Pendant la pandémie, des personnes vont jusqu’à nier l’existence du virus – Bolsonaro en tête, qui est responsable de la mort de 700 000 personnes.
Il devenait impératif, pour nous autres sociologues, d’analyser les racines du rapport qu’entretiennent les individus avec des leaders qui sont corrompus, qui leur mentent, qui sont criminels. Comment, malgré ces facteurs, expliquer l’adhésion de toute une partie de la population à ces leaders ? J’ai commencé à me dire que le schéma que nous avions utilisé et qui consistait à prendre au sérieux ce que les gens croyaient n’était plus plausible : la démocratie allait exploser sous la menace de mensonges et de manipulations éhontées. Même s’il faut élargir la notion d’intérêt et parler de logique ou de rationalité culturelle, même s’il faut comprendre que les agents votent pour défendre des identités et pas seulement des intérêts économiques, il était flagrant qu’on pouvait manipuler la croyance en activant un nombre d’émotions-clés.
La suite ici : Eva Illouz : « Les populistes utilisent une mystique du peuple très floue mais extrêmement puissante »