En matière de raisonnement économique, le bon sens est mauvais conseiller. Prenez la dernière initiative de Bill Gates : le multimilliardaire et philanthrope vient de décider, via son fonds anti-CO2 Breakthrough Energy Ventures, d’investir 20 millions de dollars dans une start-up révolutionnaire, Blue Frontier, qui développe un système de climatisation clean, c’est-à-dire de 50 % à 90 % plus économe en énergie.
Qui le lui reprocherait ? Le fondateur de Microsoft n’est-il pas dans ce rôle de sauveur de la planète qu’il s’est donné ? N’est-il pas légitime de rendre plus « efficientes » toutes les machines consommatrices d’énergie fossiles ? Les 2 milliards de climatiseurs en service dans le monde sont une vraie plaie, ils sont responsables de près de 4 % des émissions de gaz à effet de serre. Leur nombre devrait augmenter de moitié dans dix prochaines années. Bill Gates est convaincu qu’il peut changer la donne.
Cette logique se heurte à un os : le paradoxe de Jevons. William Stanley Jevons (1835-1882) était un économiste anglais, de l’école néoclassique. Dans un livre publié en 1865, « The Coal Question » (« la Question du charbon »), il a le premier montré que, contrairement au bon sens, une innovation permettant une économie d’énergie n’entraîne pas une réduction de la production énergétique globale, mais… son augmentation. L’efficacité entraîne en effet une baisse des coûts, qui se traduit par un rebond de la demande.
Ainsi dans l’aviation commerciale, la baisse de la consommation de kérosène a été accueillie comme une bonne nouvelle pour l’environnement : l’émission de CO2 par appareil a chuté de 60 % entre 1960 et 2000. Mais la baisse des coûts induite a aussi favorisé le boom du low cost et, avec lui, celui du trafic aérien. De même, l’apparition des LED à basse énergie a débouché sur une explosion du nombre des écrans dans l’espace public – et de la pollution publicitaire qu’ils colportent –, ce qui peut difficilement être considéré comme un progrès.
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