Franklin Dehousse. Pourquoi la stratégie occidentale en Ukraine est fondée

Le 24 février 2022, l’armée russe a attaqué l’Ukraine. Il s’agit d’un événement historique majeur depuis 1945, pour plusieurs raisons. La masse des troupes (quelque 200 000 soldats, émanant de la plus grande armée en Europe). La grandeur du territoire (un des plus vastes du continent). Les ambitions exprimées (non seulement liquider le régime ukrainien, mais remettre en cause tous les accords conclus sur l’Europe de l’est après 1989). Et enfin le caractère vicieux des combats, et encore plus de l’occupation. Depuis lors, les pays occidentaux ont développé une stratégie d’aides croissantes à l’Ukraine, et de sanctions économiques croissantes contre la Russie

Dans un commentaire récent, Bruno Colmant a émis diverses critiques à cet égard. Elles m’inspirent des doutes, et méritent un débat. D’abord, elles circulent dans divers cercles politiques et surtout économiques. Ensuite, leur auteur est largement lu. Enfin, et surtout, elles minimisent le défi existentiel que cette agression constitue pour l’Europe. Ici, une large responsabilité incombe aux dirigeants européens, en raison de la profonde médiocrité de leur communication à cet égard. Ils restent comme d’habitude les grands promoteurs du déni de réalité.

Première critique contre la stratégie occidentale : « Le surarmement ukrainien va conduire à l’inverse de ce qu’exige la paix : la diplomatie. » Il y a ici deux simplifications.

D’une part, il n’y a pas de surarmement ukrainien. Il suffit de rappeler que les armements de la Russie équivalent à dix fois ceux de l’Ukraine. Or, la majeure partie des moyens russes se trouve maintenant sur le front ukrainien. Leur supériorité aboutit d’ailleurs à une occupation progressive du territoire de l’Ukraine. Les transferts occidentaux ne font donc que compenser – très partiellement – la supériorité russe.

D’autre part, depuis des années, les Occidentaux ont recouru jusqu’à la nausée à la diplomatie. Il suffit de rappeler les événements depuis 15 ans. Invasion de la Géorgie en 2008 : beaucoup de discussions, pas de sanctions. Occupation de la Crimée en 2014 : beaucoup de discussions, sanctions limitées. Guerre gelée du Donbass depuis 2015 : beaucoup de discussions, pas de sanctions. Hacking du référendum britannique sur le Brexit : pas de réaction. Hacking de l’élection présidentielle américaine de 2016 : pas de réaction. Hacking de l’élection présidentielle française de 2017 :  pas de réaction. En outre, tous les leaders se sont succédé à Moscou au début de 2022 pour répéter à Poutine que l’Ukraine ne rentrerait pas dans l’Otan, qu’une neutralisation pouvait être débattue, et qu’une série de garanties de sécurité seraient offertes à la Russie. Effet de tout cela : zéro. La diplomatie est un bel art, mais comme le tango, il faut être deux. Cela fait longtemps qu’elle n’intéresse pas Poutine, ce que confirment encore les discussions avec l’Ukraine à Ankara.

La suite ici : Pourquoi la stratégie occidentale en Ukraine est fondée (carte blanche)