L’invasion de l’Ukraine par la Russie, avec son cortège de massacres et de destructions, a donné lieu à une rhétorique paradoxale. D’un côté, on en a fréquemment appelé au droit international, en dénonçant les crimes perpétrés par la Russie à l’initiative de son dirigeant, Vladimir Poutine. De l’autre, l’existence même de ce droit a été mise en cause, spécialement au vu de son inaptitude à empêcher ce qui s’est produit. Cette rhétorique est significative d’une illusion d’optique relativement commune que l’on voudrait mettre ici en lumière : celle qui consiste, d’une part, à ne pas voir le droit international là où il est et, d’autre part, à le voir là où il n’est pas…
La première tendance résulte du discours selon lequel cette guerre serait sans précédent et marquerait (ou annoncerait) la fin de l’ordre juridique international mis en place avec la Charte des Nations Unies, en 1945. Il est pourtant banal de constater que les interventions militaires n’ont jamais disparu de la scène internationale, que ce soit pendant la guerre froide (Vietnam, Cambodge, Nicaragua ou Cuba d’un côté ; Hongrie, Tchécoslovaquie ou Afghanistan de l’autre) ou après la chute du mur (bombardements massifs de la Yougoslavie en 1999, invasion puis occupation de l’Irak en 2003 ou du Congo en 1998, Yémen depuis 2015…). À cet affligeant bilan, on peut ajouter les situations d’occupation persistante de la Palestine, du Sahara occidental, du Haut-Karabakh, de Chypre Nord ou de la Crimée, pour ne reprendre que ces exemples.
De ce point de vue, l’invasion de l’Ukraine n’a rien d’exceptionnel, que ce soit sur un plan temporel mais aussi, au-delà d’un argument européocentriste pour le moins discutable (car au nom de quoi ce qui se passe en Europe serait-il plus intolérable que ce qui se passe ailleurs ?), géographique. Dans le même sens, il faut relever que les justifications russes à l’invasion de l’Ukraine n’ont rien d’original. La première, fondée sur la « menace existentielle » pesant sur la Russie, fait écho à la « guerre préventive » utilisée par l’administration Bush pour engager les campagnes militaires en Afghanistan (2001) puis en Irak (2003). La seconde, qui consiste à dénoncer un prétendu « génocide » auquel l’intervention russe serait supposée mettre fin, reprend presque exactement le discours qui a justifié l’attaque par l’Otan de la Yougoslavie, en 1999, menée officiellement en réaction aux exactions des forces serbes au Kosovo.
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