Pour en finir avec les intentions de vote

Rappelons d’abord que les sondages ont établi leur crédit sur les intentions de vote parce que les instituts avaient trouvé là un terrain idéal pour montrer qu’avec un échantillon représentatif, on pouvait prédire le résultat des élections. À partir de là, l’épreuve pour ce seul sujet a valu pour tous les autres, sans qu’on puisse confronter des résultats à des scores réels comme avec les élections. On en a même oublié que les intentions de vote n’étaient pas de la même qualité selon qu’on posait la question un an ou six mois avant une échéance électorale, quand on ne connaît même pas tous les noms, ou deux jours avant l’échéance.

Dans le premier cas, il s’agit d’une question fictive qui ne se pose pas quelles que soient les précautions oratoires du libellé de la question « si l’élection avait lieu dimanche prochain et si »… Comme si les sondés s’y trompaient. Ils marquent seulement leur bonne volonté à répondre à une question qui ne se pose pas et contribuent ainsi innocemment, comme dans un jeu, à produire un artefact. Les sondeurs le savent fort bien. Une fois n’est pas coutume, citons l’un d’entre eux : ces sondages, c’est « du grand n’importe quoi, et six mois avant les élections, ils ne veulent absolument rien dire, mais nous devons répondre à la demande de nos clients et il y a une logique médiatique terrible, et une volonté non avouée de faire du spectacle »

Si l’on se fie aux différentes études de sociologie électorale réalisées depuis The People’s Choice (Paul Lazarsfeld, 1944), l’intention de vote est toutefois le plus souvent forgée dans la semaine précédant un scrutin. Depuis D. H. Gallup, la performance réalisée sur une opinion mobilisée conforte généralement les sondages artefactuels. On conviendra que cela ne sert pas à grand-chose de connaître les résultats quelques heures avant leur proclamation publique.

D’autant plus qu’il faut payer très cher ce subterfuge. Si les sondeurs ne croient guère aux intentions de vote relevées longtemps avant les scrutins, ils mesurent les bénéfices commerciaux et narcissiques qu’elles leur apportent sous forme de crédibilité non fondée, de visibilité médiatique et d’influence sur les responsables politiques. Quant aux journalistes addicts, ils ont besoin d’information et se fichent pas mal de sa véracité, à moins qu’ils ne soient eux-mêmes engagés dans des calculs stratégiques.

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