« On aimerait remercier Jeff Bezos d’être allé dans l’espace, car pendant qu’il était là-haut, ici, on montait un syndicat. » C’est à travers ces mots plein d’ironie que le jeune travailleur Christian Smalls célèbre devant les médias, ce vendredi 1er avril, la création du tout premier syndicat au sein du géant Amazon aux États-Unis. Autour de lui, des dizaines d’employés euphoriques laissent éclater leur joie en se serrant dans les bras. La scène se déroule à New York, où les salariés d’un entrepôt local viennent de voter à la majorité en faveur de la flambant neuve Amazon Labor Union (ALU) – à hauteur, selon un décompte retransmis en ligne, de 2 654 voix « pour », contre 2 131 voix « contre ».
Si les dirigeants d’Amazon n’ont pas encore officiellement réagi à cette annonce, des révélations troublantes, exposées quelques jours plus tard par le média en ligne The Intercept, offrent un aperçu assez net de leur position. On y apprend que le géant du commerce en ligne a travaillé, ces derniers mois, à l’élaboration d’une messagerie interne sur laquelle des mots-clés propres à la rhétorique syndicale – « syndicat », mais aussi « augmentation de salaire », « pétition » ou encore « salaire décent » – seraient tout simplement bloqués. Le même sort serait réservé à un ensemble de termes « représentant des critiques potentielles à l’égard des conditions de travail d’Amazon ». Parmi la longue liste retranscrite par The Intercept, on retrouve notamment les mots-clés « résiliation », « harcèlement », « justice », « liberté » ou encore « robots ».
Le projet remonte à novembre 2021. À l’époque, raconte le journaliste spécialisé Ken Klippenstein, les pontes de l’entreprise évoquent au cours d’une réunion la possibilité de créer un « réseau social interne ». Celui-ci permettrait aux employés de mettre en valeur les performances de leurs collègues à travers des sortes de « points bonus » ludiques baptisés « Shout-Outs ». Objectif de l’initiative ? Faire en sorte de « réduire l’usure » des travailleurs… en augmentant leur productivité grâce à des badges virtuels ayant « une valeur commerciale directe », le tout dans un cadre « bienveillant et positif ». Selon Dave Clark, le responsable global des activités grand public d’Amazon, il s’agit de s’inspirer du modèle de l’application de rencontre Bumble, où les échanges sont essentiellement « individuels » (celui de Facebook étant trop susceptible de virer au « forum »).
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