Edgar Morin signe « Réveillons-nous ! » 

Stéphane Hessel disait Indignez-vous, il s’adressait à des gens déjà réveillés ! Moi, j’ai l’impression que nous subissons les événements un peu comme des somnambules. Ce que j’ai vécu, du reste, dans ma jeunesse, dans les dix années qui ont précédé la guerre. Je demande à essayer de voir et de comprendre ce qui se passe. Sinon, nous allons subir les événements comme, malheureusement, nous avons subi la dernière Guerre mondiale.

Comment vivez-vous ce retour de la guerre en Europe ? 

Bien entendu, il y a une surprise, mais pas totale puisque dans un article que j’ai fait dans Le Monde en 2014, au moment de la crise ukrainienne et, déjà, la scission des provinces russophones en Crimée, j’avais dit : attention, c’est un foyer d’infection qui risque d’avoir des conséquences désastreuses. Et pendant des années, on a fermé les yeux sur cette infection. Il y avait une petite guerre permanente dans l’Ukraine et dans le fond, le vrai problème, c’est que, en plus du sort de l’Ukraine qui voulait être démocratique et s’intégrer à l’Union européenne, elle était un enjeu, une proie pour deux superpuissances : la Russie poutinienne, qui rêvait de retrouver la grande Russie et de l’absorber, et le monde occidental, les États-Unis, qui rêvaient de l’intégrer à l’Occident.

La grande différence, c’est qu’au cours de ce conflit très fort, mais encore resté sans guerre, le président des Etats-Unis, en même temps qu’il apportait un soutien intransigeant en paroles, a dit : moi, je ne ferai pas la guerre. Ce qui fait que dès le début, il y a eu un déséquilibre. Et aujourd’hui, nous sommes dans une sorte de contradiction parce que d’un côté, nous pensons que la résistance ukrainienne est juste – c’est une guerre patriotique – mais en même temps, nous pensons que si nous entrons dans ce conflit, nous risquons ce que Dominique de Villepin appelait un « tsunami mondial » : de proche en proche, arriver à l’explosion.

Quel regard avez-vous sur ces Ukrainiennes, ces Ukrainiens, qui prennent les armes pour défendre leur pays face aux Russes ?

Pour moi, ce sont des résistants qui, cette fois, résistent avec une armée nationale, alors que nous, on était des résistants désarmés. Je trouve que c’est très beau, mais je pense aussi que nous ne pouvons pas nous laisser entraîner dans la logique de la guerre et intervenir militairement. Donc, je sens cette contradiction que nous vivons tous et qu’il faut assumer.

La suite ici : GRAND ENTRETIEN. Edgar Morin signe « Réveillons-nous ! » : « J’aimerais bien vivre encore le temps de voir comment se dessine l’histoire humaine »