Bruno Latour :   Climat « Tout le monde se sent trahi, on comprend bien que ce modèle n’est plus possible »

Jusqu’à présent, les « classes » ont toujours été organisées et définies selon les rapports de production. Depuis le milieu du 19e siècle, tous les débats politiques s’articulent autour de deux questions fondamentales : comment développer les forces productives ? Comment partager et répartir les fruits issus de cette production ? Les libéraux, les sociaux-démocrates et les communistes se sont tous inscrits et affrontés dans ce même cadre de discussion. On s’aperçoit désormais que tout cela dépendait du charbon et du pétrole, et que ce « pacte » politique était donc fondé sur une circulation matérielle qui n’est plus viable. Tout le monde s’arrache désormais les cheveux face à cette nouvelle réalité – c’est ce que j’appelle le « nouveau régime climatique ». Cette situation appelle à formuler de nouvelles catégories politiques, un chantier actuellement en cours.

Qu’est-ce que ce « Nouveau régime climatique » ?

C’est cette pression qui s’exerce sur nous face à la certitude que l’on doit revoir toute l’organisation de notre monde matériel. La question climatique fait de l’habitabilité de la planète le problème essentiel, le centre de notre attention politique. Cela devient la question prioritaire, à laquelle toutes les autres questions politiques sont désormais soumises. Le Nouveau régime climatique introduit un renversement complet de cosmogonie, avec la découverte – stupéfiante, il faut bien le reconnaître, pour les modernes que nous sommes – que nous avons des propriétaires et que nous sommes donc des « squatteurs », en quelque sorte.

Quand on s’intéresse uniquement à la production, on ne considère le reste du vivant et toutes ses entités physiques et biologiques que sous le statut de « ressources », des ressources dont nous serions les propriétaires. Mais si on change la perspective, en s’intéressant désormais aux conditions d’habitabilité, c’est tout l’inverse : on se rend compte que ce sont eux, ces êtres dont nous dépendons, qui nous possèdent. Cela change tout.

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