André Markowicz. Ukraine, le prix du temps 

Il faut du temps1. Le temps, aujourd’hui, à Marioupol, c’est au moins 1 200 morts civils (sans doute beaucoup plus), l’impossibilité d’enterrer les gens (on enterre ceux qu’on peut dans des fosses communes), il y a plus de 200 000 habitants, sans eau, sans électricité, bientôt sans nourriture (pas encore), les gens vivent (survivent, non, vivent) dans les caves, et comme les assauts frontaux ont échoué, et qu’ils vont échouer, nous en sommes à ce que je disais, la destruction systématique des villes, avec, spécialement, comme à Alep, des frappes sur les hôpitaux, les écoles, c’est-à-dire très clairement sur les femmes et les enfants, pour écraser les gens, pour ruiner leur moral. C’est ce qui s’est passé à Grozny : une ville rasée totalement, une population traumatisée, réduite à la misère, et, là, on met en place un pouvoir « local » (qui, en l’espace de quelques années, allait échoir à Kadyrov).

C’est visiblement la même chose sur Tchernigov, et sur Kharkov, et ce sera sans doute pareil, à un moment ou l’autre, sur Kiev. — Les troupes russes sont à 15 km, à Irpen’… Et moi, au nom d’Irpen, je ne peux pas m’empêcher d’entendre un poème magnifique de « Seconde naissance » de Boris Pasternak, un de ses plus grands poèmes, « L’Été » (que je suis bien incapable de traduire), parce que c’était, là, en 29-30, un lieu de datchas, de forêts… En 1930, Pasternak y était venu, avec des amis. Il parlait de ce séjour comme d’un « banquet de Platon pendant la peste », parce que le « banquet (ou le festin) pendant la peste », c’est une pièce de Pouchkine — extraordinaire. Les chars y sont, à Irpen, et les maisons sont détruites.

Je dis que Poutine va tomber, j’en suis certain. Ça n’aide pas, de dire ça. Parce que, quand, il va tomber, personne ne le sait. — Dans un mois, dans deux mois, — dans un an ? En attendant, au jour au jour, il faut subir. Et subir ça. Il faut bien comprendre ce que c’est, Poutine. Dans la violence, c’est Assad. — Mais cette violence, nous la connaissons même d’avant, et ça aussi, il faut le dire : Milosevic, c’était la même violence.

Mais ce n’est pas que cette violence, que je ne peux pas nommer aveugle, dès lors qu’au contraire, elle s’attaque à ce qui est le plus faible, le plus essentiel de l’humanité. Non, cette violence aux yeux grands ouverts. C’est aussi une vision du monde : le patriarche de toutes les Russies, Kirill, sans doute le prélat le plus corrompu de l’histoire russe, explique, par exemple, qu’il était légitime et nécessaire de se lancer dans cette « opération militaire », parce que, l’Occident, c’est le règne des parades gay. La haine fasciste de l’homosexualité.

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