On distingue deux grandes doctrines de l’élection au suffrage universel. Selon la première, l’élection est un droit conféré à chaque citoyen de voir sa volonté politique représentée et suivie d’effets : c’est ce que l’on appelle la représentation-miroir. L’électeur choisit tel parti ou tel candidat sur la base de son programme et de ses engagements ; il attend de ce parti ou de cet élu que, étant donné les valeurs qu’il affiche, il agira conformément à la vision politique de ses électeurs, dont il doit constituer un calque aussi fidèle que possible.
La relation entre les uns et les autres est horizontale : les élus sont des professionnels de la politique, mais ils doivent rester proches du peuple par leur sensibilité, par leur perception de la réalité — raison pour laquelle le droit d’éligibilité est ouvert à tous, sans exigence de qualification, d’études ou d’expérience. Le mandataire idéal devant être une émanation du peuple, l’élection est éminemment démocratique.
L’autre doctrine de l’élection y voit, non pas un acte démocratique favorisant la ressemblance mais un acte aristocratique favorisant la dissemblance. Selon cette doctrine, l’élection a pour but de sélectionner certaines personnes dans la masse des citoyens, de faire siéger les meilleurs, les candidats possédant des qualités spécifiques. La procédure électorale sert, non pas à désigner des mandataires qui raisonnent comme leurs mandants, qui leur ressemblent, mais au contraire à choisir des gouvernants qui soient différents des gouvernés, qui s’en distinguent par leur supériorité au plan de la formation, des compétences intellectuelles, de l’expérience.
En Belgique, nous penchons pour la première doctrine : nous voyons dans nos dirigeants les relais de nos choix idéologiques via les partis qui incarnent ces choix. En France par contre, le scrutin présidentiel est censé réaliser un équilibre entre les deux doctrines. Les candidats à l’élection présidentielle sont politiquement marqués et s’engagent sur un programme qui en fait le relais de leurs électeurs. Mais, par ailleurs, ils sont supposés s’élever au-dessus des attentes partisanes et posséder des traits de personnalité qui garantissent leur haute qualification et qui justifient de leur conférer un pouvoir très étendu. C’est cet équilibre qu’est censée exprimer la définition gaullienne de la présidentielle comme étant la rencontre d’un homme et d’un peuple : un candidat de qualité supérieure incarne la volonté populaire.
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