D’abord l’incrédulité, puis l’inquiétude. Le jeudi 24 février, Romain s’est réveillé comme le reste du monde avec pour dernière actualité en date l’invasion russe en Ukraine. La veille encore, il ne croyait pas au lancement potentiel d’une intervention militaire de la Russie contre son voisin européen. « J’avais cette impression naïve que la guerre ne pouvait avoir lieu que dans des pays moins avancés, dans des États défaillants, gangrenés par la corruption, la dictature, le terrorisme ou la famine, nous raconte cet étudiant en droit de 21 ans, inquiet de voir la guerre arriver « sur notre sol », en France.
Cette inquiétude, de nombreux internautes la partagent sur des réseaux sociaux comme Twitter. « Je n’aurais jamais pensé vivre les prémisses d’une troisième guerre mondiale », s’inquiète l’un d’eux. « Ce qui me fait peur c’est, si une troisième guerre mondiale arrive, serais-je prêt à me battre et à mourir ? », s’interroge un autre. 94 % des Français se sentent ainsi solidaires des Ukrainiens, comme le chiffre Harris dans un sondage d’opinion publié le 27 février. « Aux yeux de nos compatriotes, il ne s’agit pas d’un lointain et obscur conflit mais bien d’une situation générant une attention forte, écrivent-ils dans leur compte rendu. Celle-ci l’est d’autant plus qu’ils ressentent de la tristesse, de la peur face à une situation qui leur évoque l’horreur ».
Si la situation en Ukraine inquiète autant, c’est aussi parce que cette guerre semble briser un état de paix ressenti par nombre de jeunes Français comme Romain. Un constat que ne corrobore qu’à moitié Tanisha Fazal, professeure de sciences politiques à l’université du Minnesota, aux États-Unis, dont les recherches portent notamment sur la souveraineté et les conflits armés. « Je peux comprendre qu’en Europe on ait l’impression de vivre dans une sorte d’îlot de paix. Mais aucun pays européen n’en est vraiment un », estime-t-elle.
En 2014 déjà, la Russie avait annexé la péninsule ukrainienne de la Crimée à coups d’invasion armées. « C’était la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu’il y avait un changement de frontières étatiques en Europe », nous explique Johanna Möhring, spécialiste de la défense européenne et des politiques de puissance au XXIème siècle, chargée de recherche au Center for Advanced Security, Strategic and Integration Studies (CASSIS) de l’Université de Bonn. « Cette annexion avait déjà provoqué l’ire d’Européens qui étaient soit déjà concernés par le conflit soit alertés par la nature de ce régime. Mais elle n’avait engendré aucune protestation de l’ampleur de celle que nous connaissons aujourd’hui », ajoute-t-elle. Outre ces conflits en Ukraine, rappelons que l’Europe a connu d’autres guerres armées sur son territoire, notamment en Yougoslavie dans les années 1990. Pourtant, a persisté chez certains un sentiment de paix largement illusoire.
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