La Russie de Poutine nous inquiète et nous déroute. La perspective d’une puissance nucléaire hostile et agressive à nos portes est si effrayante que les Européens ont longtemps préféré céder à l’illusion de la normalisation — « M. Poutine est pragmatique », « il faut comprendre les demandes de la Russie », etc. —, plutôt que chercher à comprendre la nature de cet État hors norme. Ce qui n’aide pas à savoir à quoi nous attendre et que faire avec la Russie. Il faut du courage intellectuel et politique, si l’on veut résister au récit que la Russie inocule depuis vingt-cinq ans, et reconnaître que nous sommes dans une situation analogue à la Guerre froide.
Analogue mais pas identique. La configuration présente est profondément différente : nous ne sommes plus dans un affrontement entre deux blocs séparés par une guerre idéologique et une rivalité impériale. Et ce pour trois raisons :
1. La Russie n’est plus un régime idéologique, elle ne représente plus un modèle ; même si l’autoritarisme exerce aujourd’hui une forte attraction sur les démocraties fatiguées, les modèles autoritaires hongrois et polonais ou le modèle totalitaire chinois ont autant sinon plus d’attrait dans le monde. Par rapport à l’URSS, la Russie de Poutine a perdu le prestige idéologique et la ressource des « partis frères ». Mais elle a gagné la discrétion et la dissémination de ses soutiens dans tous les milieux. Comme le remarquait récemment un éminent politiste, il n’y a plus de Parti communiste mais il y a beaucoup de compagnons de route.
2. L’URSS était un véritable empire, comme la Russie tsariste avant elle, la Russie de Poutine n’est qu’un rêve d’empire : diminuée territorialement, exsangue démographiquement, revenue à une structure économique de type tiers-monde, la Russie n’a plus pour elle que son statut nucléaire et une armée reconstruite à grand frais, sans qu’on sache d’ailleurs combien cela lui coûte et avec quel impact sur le bien-être des Russes, puisque le budget militaire et sa part dans le PIB sont secrets depuis plusieurs années. Certains s’inquiètent du rapprochement entre la Russie et la Chine. Un des éléments de langage très habiles des relais de la Russie consiste à affirmer que par l’expansion de l’OTAN et par notre intransigeance sur l’Ukraine nous aurions poussé la Russie dans les bras de la Chine, créant ainsi une dangereuse internationale des dictatures. Argument douteux car la Chine et la Russie ne jouent pas dans la même catégorie. La Chine a beaucoup à prendre (ou à voler) à la Russie, et peu à lui donner. Sa puissance repose pour une part essentielle sur ses exportations. Elle ne quittera pas le système Swift par solidarité avec la Russie.
3. La Russie n’est plus un empire quasi autarcique comme l’était l’URSS, avec le COMECON et ses clients dans le Tiers-Monde, elle est insérée dans la mondialisation.
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