Le viol de l’Ukraine

La prise du Donbass n’est-elle qu’une première étape ? L’homme qui n’a plus de limites dit « pourquoi pas ? ». C’est sans doute l’état d’esprit dans lequel Vladimir Poutine s’est placé fin 2021. En se disant que c’était peut-être pour lui – et pour la Russie – la dernière chance de « récupérer » l’Ukraine. C’est l’aboutissement d’une longue chaîne d’événements, dont les racines se trouvent bien davantage à Moscou et à Kiev qu’à Washington ou à Bruxelles.

Le 19 août 1991 au matin, une dépêche urgente s’affiche sur les téléscripteurs du monde entier  : «  Urgent – Coup d’État en Union soviétique  ». Il faut se souvenir à quel point cette information était effrayante  : l’avenir de ce qui était à l’époque une superpuissance dotée d’armes nucléaires était en jeu. Le coup d’État fut de brève durée mais l’événement accéléra considérablement le processus de décomposition de l’URSS. Cinq jours plus tard, l’Ukraine déclara son indépendance, à la surprise et à la déception des autorités russes. Boris Eltsine envisagea un temps d’imposer un redécoupage des frontières pour absorber a minima la Crimée et le nord du Kazakhstan, mais le président kazakh Noursoultan Nazerbaiev l’en dissuada. Eltsine, qui ne voulait pas que l’URSS subisse le sort de la Yougoslavie, se rangea à ses arguments:

C’est la sagesse incarnée dans le principe de droit international uti possidetis («  ce que vous avez, vous le posséderez  ») qui s’appliqua. À l’époque, un nouveau traité d’union était encore envisagé. Mais Moscou n’était prête à y souscrire que si l’Ukraine en faisait partie. Or le référendum d’indépendance (1er décembre) fut sans appel  : avec plus de 90  % de «  oui  » (et une participation de 82  %), l’Ukraine décida de suivre son propre chemin. Quelques jours plus tard, le président nouvellement élu Léonid Kravtchouk et ses homologues russe et biélorusse déclarèrent l’extinction du traité fondateur de 1922

L’Ukraine mettait un terme à 350 ans d’histoire sous le même toit. Ce choix fut formellement accepté par Moscou et le pays reconnu comme État indépendant dans ses frontières de l’époque. Non seulement de manière tacite en acceptant le statu quo frontalier en 1991, mais surtout en signant ultérieurement plusieurs traités et accords avec elle  : le mémorandum de Budapest (1994), qui garantissait son intégrité territoriale  ; le traité d’amitié russo-ukrainien (1997), qui confirmait les frontières et proclamait leur inviolabilité  ; et les accords relatifs à la base de Sébastopol (1997, 2010). Cela n’empêcha pas Vladimir Poutine, dans une citation fondatrice (2005), de considérer que l’éclatement de l’Union était «  la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle  »

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