C’est une scène qui ressemble à un rêve ou à une hallucination. Un homme marche seul dans les rues désertes de Paris. Nous sommes en mars 2020. Les Parisiens sont enfermés dans leur appartement, ou ils ont quitté la ville pour se réfugier dans leur résidence secondaire. La «première pensée obsédante» qui vient à l’esprit de ce passant solitaire, c’est la suivante: «Hitler debout dans une voiture décapotable, déambulant de la place de la Concorde aux Invalides, découvrant ébaudi comme le moindre soldat de sa victorieuse armée la […] capitale décadente des plaisirs et de la débauche […] Une ville qu’il rêvait de conquérir, et qu’il ordonnera de détruire.»
Cet homme, c’est Éric Zemmour. Le fameux point Godwin est pulvérisé, par Zemmour lui-même, qui avoue avoir été gagné par cette pensée obsédante dans son essai La France n’a pas dit son dernier mot. Passée inaperçue, la scène est analysée par Cécile Alduy dans La langue de Zemmour, qui vient de paraître aux éditions du Seuil. «Il faut le lire pour le croire, écrit la sémiologue. La première image mentale qu’Éric Zemmour projette sur cette page blanche d’une métropole dépeuplée pour cause de pandémie, c’est… Hitler.»
Plus loin, on peut lire: «Non content d’avoir pour premier réflexe de penser “Hitler” en voyant “Paris”, il se glisse dans la peau du Conquérant: “Je croyais voir pendre une immense croix gammée rouge et noir”. “Paris vide m’appartenait comme si je l’avais conquise”, fantasme-t-il plus loin, imbu d’un imaginaire obsessionnel de la domination et de la guerre qui teinte tous ses écrits.»
Le polémiste n’existe pas en dehors de cet imaginaire guerrier. Il en est le produit, l’artefact, un amalgame d’images et de vignettes historiques, un montage rap de fantasmes et d’obsessions qu’il manipule dans une réécriture donquichotesque de l’histoire: «Dans ces quelques pages tout est là: un univers mental saturé de violences, une fascination morbide pour la guerre, la mort, la conquête et la domination, le mythe du chef charismatique, l’étalage de références historiques où archives et films populaires sont des sources de même valeur.»
La suite ici : Éric Zemmour ou la pulvérisation du point Godwin