Peut-on vraiment parler de neutralité exclusive ?

Depuis une dizaine d’années, l’opposition entre neutralité inclusive et neutralité exclusive s’est installée dans le débat public. J’ai moi aussi employé cette opposition, en essayant d’en dégager le sens historique et idéologique, les tenants de la neutralité inclusive et de la neutralité exclusive n’ayant pas la même lecture du phénomène religieux et de ses rapports avec l’Etat et avec les citoyens.

Aujourd’hui, je me demande si cette opposition entre neutralité inclusive et neutralité exclusive n’est pas trompeuse, ou en tout cas réductrice et peu opérationnelle. Car s’il existe bien un modèle que l’on peut qualifier de neutralité inclusive, il n’est pas sûr, à la réflexion, que l’on puisse parler de « neutralité exclusive » sans tomber dans une contradiction.

Dans un certain nombre de cas, en effet, les règles ou les attitudes que l’on range dans la neutralité exclusive ne méritent pas cette étiquette parce qu’elles sont délibérément excluantes et, de ce fait, ne sont pas neutres. Lorsqu’une entreprise se réclame subitement de la neutralité parce qu’elle ne veut pas engager une femme voilée, ou parce qu’elle veut contraindre une de ses salariées à ôter son voile, elle ne pratique pas une neutralité exclusive : elle pratique l’exclusion. L’expression de neutralité exclusive est une contradiction dans les termes : la neutralité ne peut pas servir de prétexte pour exclure. Une telle démarche n’a rien de neutre, et elle se reconnaît facilement au fait que, soit seuls certains signes convictionnels sont bannis, soit l’interdiction d’afficher une appartenance religieuse fait suite à une plainte visant une collaboratrice musulmane.

En avançant qu’il ne s’agit pas ici de neutralité exclusive, je ne veux pas banaliser de telles pratiques, au contraire. C’est leur faire trop d’honneur que de leur prêter une intention de neutralité, et il faut dénoncer leur caractère discriminatoire pour avoir une chance de les faire cesser. Sans cela, on risque d’écarter une partie des femmes de la vie économique et sociale, avec les conséquences en chaîne que cela suppose. Des règlements qui se drapent dans la neutralité afin de viser une religion ou un symbole en particulier dévoient l’idée de neutralité et alimentent un climat dangereux. On peut ne pas adhérer au port d’un signe convictionnel, ou s’en inquiéter lorsque ses connotations paraissent problématiques, mais seuls des signes très spécifiques, comme la croix gammée, peuvent justifier une restriction de liberté.

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