Aux Etats-Unis, le parti républicain est en train de s’assurer une majorité pour des dizaines d’années

Il y a vingt ans, Judy Bolden a passé 18 mois dans une prison de Floride. Depuis cette époque, cette femme noire est libre, mais elle n’a pas le droit de vote parce qu’elle ne s’est pas acquittée des frais de son procès. Ces frais, qui n’ont pas cessé de grossir depuis 20 ans, s’élèvent aujourd’hui à 53.000 dollars. Une somme bien évidemment impossible à payer pour elle. Ils sont 700.000 Floridiens à être ainsi privés du droit de vote, sur une population d’électeurs d’environ 14,5 millions. Ils ont tous été condamnés un jour à une peine de prison, parfois il y a très longtemps, et ils n’ont pas remboursé les amendes ou les frais de leurs procès. Il n’est pas difficile de faire de la prison en Floride lorsqu’on n’a pas la bonne couleur de peau, comme j’en ai été le témoin (1).

Pour les personnes qui ont été condamnées à la prison en Floride, il est souvent difficile de savoir quelle est la somme qu’elles devraient payer pour récupérer leur pleine citoyenneté. Pour le savoir, elles doivent adresser une requête à la Cour de leur comté, ce qui engendre de nouveaux frais. Il n’est pas rare qu’elles apprennent alors que le comté a confié le recouvrement des dettes à une entreprise privée, et que celle-ci les a augmentées de 40 %. La procédure peut aussi entraîner la perte de leur permis de conduire, ce qui signifie généralement une perte d’emploi dans un État où 90 % des gens utilisent leur voiture pour aller travailler.

La suppression du droit de vote pour les personnes qui ont commis un délit date de la fin de la guerre civile lorsque, dans les États du Sud, les Blancs ont trouvé là un moyen facile de conserver le pouvoir. Alors que d’autres États ont renoncé à ces lois d’exclusion, la Floride les a maintenues jusqu’à ce qu’en 2018 les Floridiens votent à une écrasante majorité d’accorder le droit de vote à tous les condamnés qui ont purgé leur peine. Du jour au lendemain 1,4 million de Floridiens ont accédé au droit de vote. Mais c’était sans compter sur l’imagination des Républicains qui contrôlent le parlement de l’État. Dans l’année qui a suivi, ils ont voté une loi qui prévoit qu’une peine n’est définitivement purgée que lorsque la personne a payé toutes les amendes. Et revoilà donc 700.000 personnes à nouveau exclues du droit de vote.

La suppression du droit de vote pour les personnes qui ont été condamnées est radicale. Mais de multiples autres méthodes ont été utilisées après la guerre civile pour rendre le vote très difficile pour les minorités de couleur. Le Voting Rights Act de 1965 avait essentiellement mis fin à ces méthodes, en mettant l’organisation des élections sous le contrôle du Ministre fédéral de la Justice dans les États qui rendaient le vote difficile. Mais l’arrêt Shelby County v Holder de la Cour Suprême de 2013 a redonné aux États le pouvoir d’organiser les élections. Nous renvoyons à notre chronique du 17 octobre 2020 pour les détails. Depuis la défaite de Donald Trump en novembre 2020, les États contrôlés par les Républicains se sont plus que jamais engouffrés dans cette brèche.

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