Tout a commencé par les récits, les mythes, les réflexions individuelles et collectives, avec la souveraineté de la parole et de la raison. Aujourd’hui, à l’inverse de ce que nous avons connu et aimé, tout est chiffré, mathématisé, numérisé, statistique. Plus aucune réalité n’échappe au monde des nombres et au contrôle des algorithmes. Même la Justice.
Place au behaviourisme. L’intériorité de la personne a cessé d’être pertinente. Plus exactement, il n’y a pas d’intériorité. L’idéologie managériale est basée sur l’idée que l’homme ne peut se déterminer que par des stimuli extérieurs. On n’admet pas qu’il puisse y avoir une attraction naturelle vers ce qui est bon, vrai et beau. L’approche est similaire à celle utilisée pour les dauphins de spectacle dans les jardins zoologiques. On travaille par récompense et privation. Récompense : si vous avez une évaluation positive, votre juridiction reçoit des moyens supplémentaires. Privation : si vous avez une évaluation négative, vous recevez moins de moyens. Il y a là comme une forme de dressage du travailleur, qu’il soit magistrat, fonctionnaire, personnel soignant ou enseignant. Or, dès le moment où sa vie intérieure est niée, l’être humain oscille entre l’ennui et l’angoisse. Une dépendance s’installe, qui entraîne la démotivation et une apathie profonde.
Le rôle de la Justice sous l’emprise du management devrait susciter l’intérêt de tous car c’est véritablement à un changement de paradigme que nous assistons, un changement qui ne fait pas de bruit, qui ne se voit pas de l’extérieur, mais qui correspond profondément à une altération de ce qui, jusqu’à présent, constituait notre humanité.
Le pouvoir judiciaire est invité à développer une culture d’entrepreneuriat où chaque entité est appelée à résoudre elle-même ses problèmes. La communication du ministère de la Justice se déploie exclusivement dans ce registre définitivement inspiré du marché et de la performance : planification des impacts par groupe cible, feuille de route change (sic), analyse de stabilité, outils standards, changement incrémental (sic), vision et planning, plate-forme de communication, groupe pilote, implémentation horizontale ou verticale, coalition entre les sponsors et le management, partage des quick wins, examen des canaux appropriés… Tel est le langage des nouveaux gestionnaires.
La suite ici : La Justice est sous l’emprise du management et cela doit nous inquiéter