Xi Jinping, le totalitaire pragmatique

Le peu que Xi veut bien montrer – notamment les arrière-plans de bibliothèque, comme lors de la présentation de ses vœux à la population chinoise – indique un grand intérêt pour la science, l’innovation et tout particulièrement le digital. Certes « président de tout » et donc susceptible d’intervenir à tout propos, Xi a intensifié l’essor de la « big science » qui avait commencé sous Deng Xiaoping, et il a donné un élan décisif à la gouvernance digitale – à commencer par la surveillance, bien sûr, mais en fait dans tous les domaines.

Son slogan international favori, « une communauté partagée pour l’avenir de l’humanité« , évoque un horizon de science-fiction. Après le futurisme soviétique et bien sûr le thème américain de la frontière technologique, la Chine de Xi exalte l’innovation technologique et veut façonner la société avec celle-ci. Après des décennies d’admiration des prouesses occidentales dans ce domaine, la société chinoise adopte ses propres mythes, comme en témoigne la popularité du romancier Liu Cixin, devenu sur le tard un apologue de Xi. Tout aussi révélateur est le goût chinois pour des bibliothèques publiques modernistes, en forme de tour de Babel ou de soucoupes volantes – et dont les livres apparents sont souvent de simples décors, hélas.

Mais l’ère Xi Jinping est bien à deux visages : l’un commande l’enracinement dans le passé révolutionnaire chinois (别忘初心, biewang chuxin, n’oubliez pas d’où vous venez), l’autre exalte la projection vers un avenir technologique radieux. Et la société chinoise est celle qui a le moins de réticence pour l’expérimentation biologique ou génétique. Liu Cixin l’explique par l’absence du christianisme et une révolution économique, évoquant aussi un soutien officiel pour la science-fiction.

Xi Jinping est-il abusé par ses propres slogans ? Bien des analystes estiment aujourd’hui qu’il est nécessairement mal informé du fait des sycophantes qui l’entourent. Certaines de ses initiatives depuis 2012 semblent en effet relever d’un emportement de type Grand Bond en avant : elles peuvent dépasser leur promoteur jusqu’à forcer une marche arrière soudaine mais tardive. Il en a été ainsi des « Routes de la soie », comme notre tradition sinophile persiste à dénommer l’immense exportation de crédits et d’infrastructures lancée en 2014 : bien des projets ont aujourd’hui été remisés. La même question est posée pour la diplomatie chinoise, symbolisée par l’image du loup combattant, une course d’émulation entre diplomates pour se montrer le plus agressif et ainsi « briller pour la patrie » (为国发光, weiguo faguang).

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