Depuis la crise épidémique, nous avons été sommés de télétravailler pour ceux pour lesquels cela était possible… mais également, partout, de substituer à notre présence des rapports distants, donc à utiliser des services numériques partout où cela était possible. La distanciation physique semble avoir plus encouragé la digitalisation que n’y était parvenue la seule promesse des gains de productivité de la transformation numérique.
Reste qu’en basculant nos existences dans les écrans, nous avons été saisis d’un manque, d’une angoisse. Celui d’un besoin inaltérable, indépassable de relations sociales pour être soi et faire monde commun. Si tout est transposable dans les services numériques, il y a quelque chose qui y résiste : le sens, notre inextinguible besoin de la présence des autres. Jetés dans les écrans nous nous sommes rendus compte que la réalité n’était pas si facilement substituable, remplaçable. Entre la promesse de nous télécharger dans le réseau et le fait de se retrouver brutalement assis dans nos matrices de survie, nous avons éprouvé toute l’ampleur de la différence entre la réalité et le cauchemar.
Cette accélération, cette bascule, masque d’autres accélérations : celle de l’individualisation et de de la dépolitisation, comme celle de la surveillance, inscrite dans la nature même du numérique. Dans l’accélération de la surveillance, ce sont nos libertés et notre autonomie qui sont mises à mal. Comment trouver encore un espace où tout ne soit pas déterminé ? Un espace où l’on puisse encore converser, discuter, dialoguer… trouver des moyens pour n’être pas réduit aux cases, seuils et critères rigides des systèmes.
À l’espoir d’un « Green New Deal » a succédé le risque d’une bascule numérique, un « Screen New Deal », constatait dès mai 2020 la journaliste et essayiste altermondialiste Naomi Klein (@NaomiAKlein) : c’est-à-dire un avenir sans contact et sans humain, un changement de nature de nos relations, instrumentées et armées par les technologies numériques. Plus que jamais, nos existences sont confrontées partout à des interfaces. Si cette grande accélération provoque certes un ras-le-bol et un rejet, ce qui est transformé risque d’être là pour durer. Les services numériques qui se sont mis en place ne disparaîtront pas demain. Nous ne reviendrons pas aux guichets ou aux agences, notamment du fait des investissements réalisés. Les interfaces sont là pour durer. Qu’est-ce qui reviendra en présentiel et qu’est-ce qui n’y reviendra pas ? Nous voilà un peu plus enfermés Derrière les grilles des calculs, dans les retz d’une surveillance toujours plus étendue.
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