Jean-Marie Guéhenno reconnaît d’abord les erreurs fondamentales de tous les observateurs, lui-même inclus, sur l’interprétation des événements de 1989. La chute spectaculaire du bloc soviétique et la conclusion de la guerre froide ont donné une fausse impression de sécurité aux Occidentaux : la démocratie libérale triomphait dans le monde et une ère de paix et de prospérité s’ouvrait qui allait permettre aux régimes autoritaires et même à la Chine d’évoluer vers un système pluraliste et pacifique. Cet irresponsable aveuglement a négligé aussi bien les traumatismes majeurs engendrés par la disparition de l’Union soviétique que l’avertissement lancé par le gouvernement chinois lors de la sanglante répression de la manifestation de Tien An Men.
Les attentats du 11 septembre 2001 et les guerres qui les ont suivis ont mis fin à cet optimisme qui ne reposait que sur des illusions. Avec la fin de la guerre froide, la cohésion de l’Occident et de ses alliés africains et asiatiques a disparu. Partout la cohésion des nations, dont on sait à quel point elle participe de leur cohérence dans les relations internationales, connaît une forme d’érosion. On assiste au triomphe de l’individualisme. L’individu récuse tous les mouvements collectifs. Il ne cherche que son intérêt personnel et ne se préoccupe plus des positions des partis qui constituaient pourtant l’armature des démocraties occidentales et qui présentaient des projets collectifs aux électeurs chargés de trancher entre ces différentes propositions : « Le cadre intellectuel qui structurait le débat politique s’étant effondré, les électeurs des démocraties n’ont plus de boussole qui les guide. » Du coup, L’argent devient le langage commun de tous les pouvoirs, aussi présent en Russie et en Chine, que dans les pays occidentaux.
Cette progression de l’individualisme est fortement stimulée par la révolution numérique. Dans un chapitre intitulé « De Gutenberg à Internet », l’auteur rappelle les travaux de ces dernières années qui soulignent l’impact politique décisif des réseaux sociaux. Ceux-ci exploitent les données que leur fournissent gratuitement les citoyens pour mieux stimuler leurs passions. Plus les messages sont provocants, plus ils recueillent l’assentiment des internautes. Loin de favoriser le consensus et la mobilisation des individus pour les causes d’intérêt général, les plateformes numériques encouragent les positions extrêmes, les déclarations outrancières, la prolifération de communautés fermées et haineuses.
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