La condamnation judiciaire de la politique de neutralité exclusive pratiquée par la STIB continue de faire des remous. La question du port de signes convictionnels dans la fonction publique menace la cohésion sociale, divise la majorité bruxelloise et monopolise beaucoup d’énergie au moment où la gestion de la fin de la pandémie de Covid 19 exige peut-être qu’elle soit employée ailleurs. Quelles pourraient être les pistes pour sortir de cette crise?
Les anticléricaux ne luttent plus contre l’influence d’une institution puissante, l’Église catholique, mais s’opposent à des pratiques religieuses de simples citoyens – et plutôt de citoyennes, d’ailleurs – dans certains cadres (enseignement et fonction publique essentiellement). Ce changement de protagonistes est embarrassant pour la gauche, qui vit un conflit entre deux de ses valeurs historiques: d’une part, l’anticléricalisme, au sens de l’émancipation des individus via notamment l’éloignement des prescrits des autorités religieuses, et, d’autre part, l’égalité entre les citoyens de toute origine, et l’intégration des descendants de l’immigration, notamment via l’accès à l’emploi. Ajoutons que la situation est particulièrement tendue à Bruxelles: la Région, qui est depuis longtemps la capitale des libres-penseurs, abrite aujourd’hui également une importante population de confession musulmane, et son personnel politique reflète la composition sociologique contrastée de la ville.
Aujourd’hui, le débat concerne prioritairement la fonction publique régionale. Après la condamnation du règlement de travail d’Actiris en décembre 2015, c’est la STIB qui pourrait être contrainte de revoir sa politique de recrutement exigeant une neutralité absolue de son personnel jusque dans l’apparence, si la Cour du travail confirme l’ordonnance du tribunal ou si la STIB ne se pourvoit pas en appel (le gouvernement bruxellois doit se positionner à ce sujet d’ici au 20 juin). Il y aurait alors deux organismes publics qui autoriseraient les signes convictionnels pour leur personnel, alors que ceux-ci resteraient interdits dans le reste de la fonction publique à Bruxelles.
Cette situation inconfortable et source d’inégalités paraît réclamer une clarification, et nombreux sont les observateurs qui appellent à légiférer en cette matière. D’autres soulignent qu’un débat a été entamé à la Chambre à propos du caractère laïque de l’État (sur la base d’une proposition de révision de la Constitution déposée par Défi), et qu’il s’agirait là de l’arène adéquate pour fixer les questions relatives à la neutralité.
On peut en douter. Outre le fait qu’il s’avérerait très compliqué de dégager une majorité spéciale (deux tiers des votes exprimés), les constitutionnalistes et le Conseil d’État s’accordent à reconnaître que la neutralité de l’État est déjà un principe fermement établi qu’il n’est pas nécessaire de réaffirmer. Si, par contre, il s’agissait de proclamer la laïcité de l’État, et non plus sa neutralité, il faudrait réviser nos dispositions constitutionnelles en matière d’enseignement et de financement public des cultes, ce qui apparaît comme un chantier bien plus complexe, voire insurmontable.
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