Outre l’abaissement des femmes, Ankara a également mis en lumière une volonté très systématique de diminuer la Commission tout entière. En l’occurrence, le protocole permettait plusieurs approches (comme le confirment de nombreuses photos de rencontres antérieures). Avant la réunion, il y a donc eu un accord Erdogan/Michel pour choisir l’approche la plus rigide, qui ravalait Ursula von der Leyen à un rang inférieur. Pendant la réunion, cette volonté a été confirmée. Ch. Michel s’est empressé d’occuper le seul fauteuil pour apparaître seul avec Erdogan sur les photos (priorité classique de nombreux politiciens).
Chose moins notée, cette volonté a été encore plus systématique après la réunion. Sur le plan diplomatique, les conclusions d’une rencontre constituent le point essentiel. Malgré son immense tristesse proclamée, le président du Conseil européen a continué sa stratégie d’écrasement de sa collègue. Il a fait un communiqué seul, en détaillant sa version des conclusions. Après cela, il a publié sur internet une photo où il apparaît sur son fauteuil, seul, avec Erdogan. Enfin, face à la montée des protestations, il a publié, seul, sur facebook (instrument de toute évidence inadapté dans le contexte) une explication selon ses dires concertée avec la présidente de la Commission (ce qui apparaît invraisemblable, vu l’absence répétée de communication entre eux). On ne peut mieux faire pour nier complètement la présence d’Ursula von der Leyen à la réunion. Il faut noter que tous ces signes d’exclusivité, eux, ne trouvent aucune justification dans le protocole.
Sur le plan juridique, Charles Michel s’écarte ici des traités. Ceux-ci ne lui accordent pas une exclusivité, ni même une primauté dans les relations extérieures. Le protocole n’est pas la substance. En effet, de façon paradoxale, et assez stupide, les traités attribuent une préséance protocolaire au président du Conseil européen mais tous les pouvoirs extérieurs réels à la Commission. En dehors de l’animation des débats du Conseil européen, il n’a aucun rôle. L’examen des grands thèmes de la rencontre avec Erdogan le montre de suite. Qui lance et négocie les traités ? La Commission. Qui peut proposer un approfondissement de l’union douanière ? La Commission. Qui peut lancer des initiatives législatives sur la libre circulation des Turcs dans l’Union ? La Commission. Qui propose le budget ? La Commission. Qui le gère ? La Commission. Qui peut donc affecter des fonds à la gestion des réfugiés en Turquie ? La Commission. Par voie de conséquence, que signifie un engagement personnel du président du Conseil européen sans l’approbation de la Commission ? Rien. De plus, la Turquie, comme les alliés extérieurs, sont en droit de s’interroger sur les réelles positions de l’Union européenne.
La suite ici : D’Ankara au corona: comment la politique étrangère européenne devient plus bête dans un monde plus dangereux (carte blanche)